Tout a commencé par une question. « Au fait, entre un alambic moderne à “une passe” et un alambic traditionnel à “deux passes”, qui s’en sort le mieux ? » Et là, au fil des discussions, et non des dégustations qui auraient vraisemblablement enflammées le débat, on remarque rapidement que chaque bouilleur de cru y va de ses arguments et prêche pour sa paroisse.
Nous avons évité de justesse une guerre de clocher cependant la question reste toujours sans réponse. Ainsi, la seule option reste de se sacrifier et d’expérimenter soi-même. En même temps cela me donne une bonne excuse pour écrire une suite à l’article https://vergeralsace.fr/distillation-dun-mout-de-mirabelle-alambic-passe/ 😉

Après quelques recherches, il s’avère qu’il est possible de louer un alambic deux passes dans un village voisin. On peut donc tenter l’expérience. Une fois les formalités douanières effectuées, le rendez-vous est pris avec le loueur d’alambic.
Quelques semaines passent et le jour-J arrive enfin. Les fûts, les copains, tout est prêt pour une journée de distillation dans la convivialité.
Au moment de la livraison de l’alambic, j’avoue que le vénérable « deux passes » à un certain charme. Celui des machines d’autrefois. Celui des souvenirs d’enfance. C’est pratiquement le même que celui qui trônait dans la cours de mon grand-père, certains jours d’automne, quand je rentrais de l’école primaire. A l’époque, je l’observais à une certaine distance, car il n’était surtout pas question qu’un gamin approche de la machine. Cela aurait vraisemblablement pu compromettre le bon déroulement de ce processus secret effectué par mon papi alchimiste d’un jour. Ou alors, il avait des craintes quant au risque de brûlure ? Aujourd’hui, j’hésite encore entre les deux options. Toujours est-il que du haut de mes 7 ou 8 ans, je m’amusais des discussions entre mon grand-père et son ami bouilleur de cru, ainsi que de l’agitation permanente autour de l’alambic où il y avait toujours quelque chose à vérifier.

Après cette parenthèse nostalgique, c’est maintenant à mon tour de m’y coller et de voir comment je m’en sort. Pour faire simple, quand on regarde la partie technique d’un alambic deux passes, c’est un bain marie, un col de cygne et un refroidisseur. Ici pas de thermomètre, de vanne ou autre accessoire. La seule concession au modernisme correspond au remplacement du foyer bois par un brûleur à gaz… OUF !
Néaamoins, sachant que l’éthanol s’évapore à partir de 78°Celsius et qu’on veut éviter tous les produits qui s’évaporent au-dessus de 82° Celsius, une première question se pose rapidement. Sans thermomètre, comment fait-on pour s’assurer de la bonne température ? Sur les conseils de la personne d’expérience présente ce jour-là (Merci Charles !), c’est simple ! « On fait chauffer à fond et une fois que la première moitié du col de cygne est chaude on baisse le feu et on attend que ça coule sous la forme d’un fin filet, à la sortie. Ensuite, on maintient simplement ce fin filet en ajustant le brûleur ». Dans la mesure où j’essaie d’avoir une approche logique de la distillation, j’avoue être un peu perplexe. Toutefois, n’est pas alchimiste qui veut et n’ayant pas d’expérience sur cet appareil, je décide de suivre le conseil. Pour me rassurer, j’avoue m’être quand même permis l’ajout d’un thermomètre à ressort, à l’extrémité du col de cygne 🙂

Après avoir rempli la cuve du refroidisseur d’eau froide et branché la bouteille de gaz, on peut commencer. On verse le mou dans le bain marie. On raccorde le col de cygne. Ensuite, on referme l’alambic et on allume le brûleur à fond. Après quelques minutes, la température indiquée sur le thermomètre ne bouge pas. En revanche, chose amusante, le début du col de cygne commence à se réchauffer. Cela progresse lentement, minute après minute et au touché on sent parfaitement l’endroit entre la zone chaude et la froide. Nous suivons donc le conseil et une fois cette zone localisée approximativement au milieu du col de cygne, on baisse le brûleur au minimum. A ce moment, le thermomètre n’a pas bougé et indique toujours la température ambiante. Quelques minutes passent encore et c’est maintenant l’ensemble du col de cygne qui ne présente plus aucune zone froide. La température sur le thermomètre grimpe enfin. Elle va monter jusqu’à se stabiliser à un peu moins de 80° Celsius. J’avoue être un peu étonné, mais j’imagine que la longueur du col de cygne est calculée afin de ne pas dépasser cette température, à son extrémité. D’ailleurs, pendant toute la durée de l’opération, avec le brûleur au minimum, la température ne dépassera jamais les 81° Celsius. Incroyable !
Quelques minutes plus tard, nous y sommes. Le produit de la distillation commence à couler. Comme pour la distillation avec un alambic une passe, nous veillons à supprimer la tête de chauffe contenant le méthanol toxique.

Nous sommes actuellement en train d’effectuer la première passe. Le distilla contient ici environ 50% d’alcool pour 50% d’eau. Il nécessite d’être redistillé afin d’éliminer une partie supplémentaire de l’eau contenue dans le mélange.

Une fois la première passe achevée, il faut maintenant vider le mou, nettoyer scrupuleusement le bain marie, les plateaux du refroidisseur et le col de cygne.

Pour la deuxième passe, c’est très simple, on verse dans le bain marie le distilla obtenu lors de la première passe ainsi que la queue de chauffe. Aprés cela, on referme l’alambic et on procède exactement de la même manière que pour la première passe. Ici également, le thermomètre ne s’affolera jamais. J’avoue qu’en dehors du côté rassurant, il n’a pas forcément été d’une grande utilité. On notera que le distilla obtenu lors de la deuxième passe ne titre pas beaucoup plus de 70° Gay Lussac. C’est une différence notable avec l’alambic une passe où la colonne de distillation permet une meilleure séparation de l’alcool et de l’eau avec un distilla titrant à plus de 80° Gay Lussac.

Finalement, hormis le temps de distillation doublé, l’alambic deux passes semble s’en sortir plutôt bien. S’ajoute à cela la grande simplicité de l’engin qui lui confère, à mon avis, une robustesse supérieure aux alambics « une passe ».
Il ne reste maintenant plus qu’à conserver notre Schnaps à haut degré d’alcool jusqu’à l’hiver, au grenier. Bien entendu, le débat n’est pas clos et une dégustation comparative s’imposera, pour voir qui de l’ancien ou du moderne s’en sort le mieux… à notre goût 🙂
Et de votre coté, où va votre préférence entre une distillation “une passe” et une “deux passes” ?